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Désaccord radical entre le CoNRS et la direction du CNRS sur le futur de la recherche française

Alors que le gouvernement français a promis aux chercheur·euse·s une loi pluriannuelle de la recherche applicable pour le budget de 2021 et demandé leur avis sur son contenu, peu ont répondu individuellement (sans doute lassés par les différentes consultations qui ont déjà eu lieu ces dernières années) mais les institutions françaises de l’enseignement supérieur et de la recherche ont, elles, un peu plus joué le jeu. Au sein du CNRS, deux positions officielles opposées se font entendre : d’un côté, la direction d’Antoine Petit et de l’autre, le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS).

Au point que le 10 septembre dernier, le Conseil scientifique de l’institut écologie et environnement de l’organisme a souhaité se désolidariser officiellement des positions de la direction, critiquant les propositions stratégiques mais aussi considérant que « ce texte n’est pas à la hauteur des grands enjeux environnementaux et patrimoniaux actuels (en particulier, réchauffement climatique, perte de biodiversité, perte du patrimoine archéologique et anthropologique sensu lato) et de leurs impacts sur les sociétés humaines« . La conclusion du document est cinglante :

Nous regrettons que les propositions faites dans ce sens par le CS de
l’INEE n’aient pas été prises en compte dans le texte proposé.

Deux documents radicalement différents

En juillet déjà, alors que la direction publiait sur le site du centre un document résumant ses propositions et que le CoNRS mettait en ligne ses propres propositions, les avis semblaient diverger tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme, les documents sont complètement différents, entre un document de la direction très succincts (5 pages) en forme de « bullet points » et sans signature claire et un document du CoNRS de 27 pages appuyé sur des sources, aux auteur·rice·s clairement identifié·e·s, allant même jusqu’à préciser le pourquoi de la forme d’écriture inclusive utilisée dans le document :

Des positions antagonistes

Sur le fond, les propositions de la direction et du CoNRS n’ont pas grand chose en commun.

Abandon du volet financier par la direction

Dès le deuxième paragraphe, la direction abandonne tout chiffrage des mesures demandées et donc tout objectif d’augmentation de budget supplémentaire. Le CoNRS, lui, demande d’augmenter le budget de la recherche publique de 2 milliards d’euros tous les ans pour arriver à une enveloppe supplémentaire annuelle de 6 milliards d’euros par an finançant ses propositions. Cette augmentation correspondrait à l’objectif que s’était fixé la France lors de la mise en place de la « Stratégie de Lisbonne » par l’Union Européenne : atteindre 1% du PIB pour le budget de la recherche publique du pays.

La direction veut une nouvelle gouvernance, le CoNRS de la stabilité

Le première proposition faite par la direction du CNRS est de revoir la gouvernance de la recherche en France en plaçant un conseil Stratégique de la Recherche et de l’Innovation auprès du Président ou du Premier ministre, composé de 4 dirigeants d’institutions de recherche, 4 PDG de grandes entreprises et 4 personnalités scientifiques. La direction du CNRS propose aussi de désigner un seul organisme responsable de chaque grande priorité nationale.

Le CoNRS, lui, implore l’État de veiller à la cohésion d’ensemble du système de recherche français « sans engager de nouvelles réformes de structure ni favoriser la création de nouvelles structures« .

Crédits de base plus élevés vs ANR plus forte

Sur l’organisation des financements, le CoNRS et la direction du CNRS divergent aussi. Si le CoNRS réclame une gestion pluriannuelle des crédits de la recherche, des crédits « de base » des unités de recherche multipliés par trois et des financements sur projet simplifiés et plus divers, la direction pousse pour une ANR toujours plus forte, sur les standards internationaux et une augmentation du mécanisme d’ « overheads » qui permet de reverser une partie des financements ANR à l’organisme qui accueille les projets sélectionnés par l’ANR.

Défense de l’emploi statutaire contre banalisation des CDI et « libéralisation » des contrats de chantier

Si les deux parties s’accordent sur le besoin d’améliorer les rémunérations des personnels de la recherche publique, notamment en début de carrière, la politique de recrutement les divise aussi.

Le CoNRS préconise de redévelopper l’emploi de fonctionnaires à tous les niveaux de la recherche française (technicien·ne·s, ingénieur·e·s, enseignant·e·s-chercheur·se·s, chercheur·se·s) et que les chercheur·euse·s soient recruté·e·s au plus près de la thèse. Il réaffirme le principe d’évaluation collégiale par les pairs dans les processus de recrutement et d’avancement des chercheur·euse·s.

La direction du CNRS, elle, propose de « recourir plus largement au recrutement en CDI (non fonctionnaire) pour les métiers en tension et à forte technicité » et de « libéraliser » les contrats de chantier.

Une direction en désaccord avec ses chercheur·euse·s

Si la position officielle du CNRS devrait normalement être celle de la direction, les différences de forme et de fond sont telles qu’il parait impossible de ne pas les remarquer et de se poser la question du leadership du centre sur la question. Alors que son document n’a pour signature que le logo du centre, la direction n’a l’air de parler qu’en son nom propre, sans prendre en compte ni l’avis des chercheur·euse·s du Centre ni les avis de ses conseils scientifiques. Est-ce à dire qu’elle n’a que faire des recommandations de ses propres conseils scientifiques ?

4 Commentaires

  1. Sabine Pétillon Sabine Pétillon 12 décembre 2019

    Ces perspectives sont glaçantes : Antoine Petit répond en tout points aux injonctions de Marcron. C’est affligeant – mais pas si étonnant puisqu’il considėre que les sciences humaines doivent servir à mieux comprendre l’IA – cqfd.

  2. Tom Sk. Tom Sk. 12 juillet 2020

    Je pense surtout que comme beaucoup de lieux supposés être dédiés à la recherche, le CNRS est de plus en plus noyautés par des militants qui font tout leur possible pour prétendre représenter la majorité, et qui intimident tout le monde. Dans l’université dans laquelle je travaille, pas grand monde n’ose ouvrir la bouche. Étrange profil sociologique d’ailleurs… le « fonctionnaire anarchiste », qui réclame à la fois un État provident qui abonde les lignes budgétaires à l’infini, et une totale liberté pour transformer la fac en lieu de formation pour militants LFI (ou CNT pour les plus motivés).
    A terme, et à force de noyautage et d’apostolat, ils finiront peut-être par être majoritaires, mais pour l’instant c’est bien loin d’être le cas. Cela ne marche que par une forme de manipulation aux ficelles assez grosse, mais efficaces. La sublime ecritur.e très.e inclusif.ve est d’ailleurs une sorte de signature, une variante de ce qu’était l’emploi d’un certain vocabulaire à la grande époque du marxisme. Le totalitarisme utopique du moment… qui dans 10 ans semblera ridicule aux yeux de tous, mais qui pour l’instant ne l’est que pour les esprits (vraiment) libres.
    Si vous voulez voir comment Antoine Petit défend ses propositions, vous pouvez écouter cette intervention pour la SIF. Il répond à la plupart des objections et son propos est plein du bon sens qui fait cruellement défaut à beaucoup.
    https://www.youtube.com/watch?v=fbdAqfxEotg
    Je laisse ce message sous pseudonyme, pour d’évidentes raisons de sécurité. Il y a déjà eu plusieurs personnes écartées, là où je travaille, sans parler des pressions physiques venues des petits militants bloqueurs un peu hargneux, bénévolement formés par certains de leurs professeurs… (il est vrai que certains ne comptent pas leurs heures sup’ pour ce type d’activités « scientifiques »).

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