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Recherche : Face à la starification et la précarité une demande de pérennité et de sérénité

Mis à jour le 6 mars 2020

Aujourd’hui, 5 mars,suite à la proposition de la coordination des « facs et labos en lutte que « L’université et la recherche s’arrêtent », les universités et les organismes sont en grève. Ce mouvement s’est peu à peu mis en place en opposition à la loi pluriannuelle pour la recherche.

Le texte finalisé de cette loi, annoncée depuis plus d’un an par le premier ministre Édouard Philippe, se fait toujours attendre, même si des fuites permettent d’en connaître les contours.

Mais pourquoi une mobilisation contre ce texte alors que le ministère promettait l’année dernière « un investissement significatif » et assurait que le gouvernement allait « passer des paroles aux actes » ?

Trois visions du problème s’affrontent actuellement, celle du ministère de la recherche, celle des chercheur·euse·s mobilisé·e·s… et celle du ministère des finances.

La recherche au service de l’innovation

Commençons par la vision de l’acteur qui a la main sur le porte-feuille, celle du ministère des finances. Selon Bruno Le Maire, lors d’un discours sur le « pacte productif prononcé le 15 octobre dernier, « recherche et industrie ne travaillent pas ensemble. Il existe encore un mur entre la recherche publique et son développement industriel. Nous devons casser ce mur ».

La loi pluriannuelle pour la recherche aurait donc la charge de casser ce mur et « devrait être l’occasion de réfléchir à une augmentation des moyens consacrés à des programmes de recherche publique en contrepartie de leur orientation vers un développement industriel précis. »

Le ministère des finances définit ce développement industriel précis en dix marchés prioritaires qui seraient « l’agriculture de précision et les agro-équipements, l’alimentation durable pour la santé, le biocontrôle animal et végétal, la santé digitale (sic), les biothérapies et bioproduction de thérapies innovantes, l’hydrogène pour les systèmes énergétiques, la décarbonation de l’industrie, les nouvelles générations durables de matériaux composites,la cybersécurité, et les technologies du quantique ».

Cette vision qui restreint les financements supplémentaires qu’il faudrait opérer à quelques secteurs de la recherche peut faire penser que l’enveloppe qui sera allouée à la nouvelle loi ne soit pas si importante que ce que promet la ministre de la recherche.

Darwinisme, inégalité et starification

La vision portée par Frédérique Vidal n’est pas la même que celle du ministère des finances. Ce qui ne veut pas dire qu’elles sont antagonistes. L’ajout du terme « innovation » au titre du ministère de « l’enseignement supérieur et de la recherche » actait dès le début du quinquennat que le gouvernement assumait d’aller dans ce sens.

Mais la ministre, poussée par un milieu de la recherche travaillant depuis des années avec des bouts de ficelles financiers et administratifs, plaide pour un budget qui permette « que la France, qui est un grand pays de recherche, puisse continuer à rayonner« .

Dans ce sens, la ministre a annoncé l’augmentation du salaire à l’embauche des chercheurs qui devrait passer à 2SMIC minimum et une revalorisation des revenus des chercheurs déjà en poste. Cette enveloppe, prévue pour l’instant que pour l’année prochaine, s’élève à 118 millions d’euros en tout.

Mais l’augmentation de ce budget s’accompagne, dans cette vision, d’un nouveau fonctionnement de la recherche française. Ce nouveau fonctionnement, il a été porté en deux temps par le PDG du CNRS Antoine Petit.

Selon lui, le système de la recherche français devrait attirer les stars et la nouvelle loi pour la recherche devrait être une « loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne ».

Pour ce qui est de l’ambition, il faudra attendre l’annonce du budget total et pour la vertu, le temps d’attente pour en juger sera encore plus long.

Mais pour ce qui est de l’inégalité et du « darwinisme social » appelés par les vœux d’Antoine Petit, certaines parties du projet de loi qui ont fuitées montre que le ministère est en accord avec le PDG du CNRS.

L’annonce d’une augmentation du budget de l’Agence Nationale de la Recherche qui finance des recherche sur appels à projet sans annonce d’augmentation des budgets récurrents des laboratoires penche pour une sélection des « meilleurs » projets digne du spencérisme (autre nom du « darwinisme social ») au sein de la recherche française.

Dans les sommaires du projet de loi qui ont fuité, la création de «chaires de professeur junior», qui s’inspire des tenures tracks anglo-saxonnes, s’inscrit dans une volonté de sélectionner des « stars » qui devront prouver qu’elles savent produire, avec un certain budget, des résultats scientifiques dans un temps court (5 ans maximum) pour qu’ensuite elles puissent espérer une titularisation.

Les directions des universités, rassemblées dans la Conférences des présidents d’université, s’accommodent de ce système qui leur rendrait les mains plus libres en leur permettant de choisir les chercheur·euse·s embauché·e·s à condition d’avoir un budget en hausse.

Une demande de pérennité et de sérénité

Face à ces deux visions qui cohabitent au sein du gouvernement, une autre s’exprime aujourd’hui, jeudi 5 mars, dans les universités et les organismes de recherche. Contrairement à d’autres mobilisations du milieu de la recherche, celle-ci se concentre essentiellement sur la précarité que subissent de plus en plus de personnels de la recherche. C’était particulièrement visible lors de la première coordination des facs et labos sous le signe de la précarité dans l’ESR.

Si certain·e·s chercheur·euse·s (la plupart en haut de l’échelle darwinienne de la recherche) soutiennent la vision de la ministre, une bonne partie exprime sa détresse de devoir travailler dans la précarité et dans le stress que leur recherche ne soit pas financée à cause de refus lors des appels à projet.

Le CoNRS (le conseil scientifique du CNRS) préconise de redévelopper l’emploi de fonctionnaires à tous les niveaux de la recherche française et des crédits « de base » des unités de recherche multipliés par trois.

Le Comité d’éthique du CNRS considère que « l’instauration de la compétition comme dynamique de la recherche est propice au développement de méconduites et fraudes telles que le plagiat et la falsification des résultats. Par ailleurs, la pression s’exerçant sur le chercheur peut générer diverses formes de harcèlement. »

À la coopétition (mot valise assemblant coopération et compétition) prônée par le PDG du CNRS, les directions d’université et la ministre, une grande partie des chercheur·euse·s répondent qu’ils et elles ont besoin de sérénité pour chercher et de pérennité aussi bien dans leur vie de chercheur·euse·s que dans le budget qui leur est alloué.

(Mise à jour le 6 mars avec l’avis du comité d’éthique du CNRS)

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