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LPPR : Loi budgétaire peu ambitieuse pour un darwinisme social inégalitaire

Le texte du projet de loi Recherche (ou LPPR, loi de programmation pluriannuelle pour la recherche) est disponible depuis dimanche. Il sera présenté par Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) en fin de semaine pour passer ensuite au conseil des ministres début juillet.

Le temps long comme prétexte à un financement lent

Édouard Philippe justifiait, lors de son annonce il y a un an et demi, le caractère pluriannuelle de ce projet de loi par le besoin de temps long de la science :

« Parce que la science s’inscrit dans le temps long, le Gouvernement a souhaité inscrire l’effort de soutien à la recherche dans le cadre pluriannuel d’une loi de programmation ».

Finalement, le temps long, c’est à lui même que le gouvernement le donne pour augmenter péniblement le budget de la recherche plutôt qu’aux chercheur·euses.

Contrairement à ce qu’on aurait pu penser en écoutant le Premier ministre, l’idée du gouvernement n’est pas de financer de façon massive la recherche dès maintenant pour aider la recherche française à obtenir des résultats dans le long terme.

Contrairement aux annonces faites en début d’année et au printemps, ce n’est pas le  budget de la seule Recherche qui devrait augmenter de 5,8 milliards d’euros dans 10 ans mais le budget global du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et de l’innnovation (MESRI). En somme, le gouvernement prévoit une augmentation annuelle moyenne du budget du MESRI équivalente à celle de l’année 2020.

Une ambition revendiquée… mais pour les quinquennats suivants

Pire, comme vous pouvez le voir sur le graphique suivant, le projet de loi LPPR prévoit pour l’année 2021 une augmentation du budget total du ministère de 104 millions d’euros, c’est à dire cinq fois moins que pour l’année 2020 selon le Ministère lui-même.1Une erreur de calcul s’étant glissée, j’avais écrit 253 millions d’euros et deux fois moins que pour 2020

Frédérique Vidal planifie de rattraper son retard à l’allumage en 2022, année électorale, avec une augmentation de 692 millions d’euros par rapport à l’année précédente. Au final, la loi ferait peser les efforts budgétaires annoncés essentiellement sur les gouvernements suivants.

Frédérique Vidal affirmait en février dernier :

« Cette loi n’est pas une loi de programmation thématique ou une loi de structures. C’est une loi de programmation budgétaire, avec une trajectoire financière spécifiquement dédiée à l’investissement dans la recherche »

En prévoyant une trajectoire financière si lente à l’allumage et en faisant peser sa programmation budgétaire sur ses successeuses et successeurs, le projet de loi pluriannuelle risque de perdre en crédibilité pour les quinquennats suivant. D’autant plus qu’une loi budgétaire pluriannuelle n’est pas légalement contraignante face aux lois de finance annuelles.

Une ANR de plus en plus puissante

Le projet de loi prévoient que les financements arrivent petit à petit mais aussi que les chercheur·euse·s devront se battre pour les obtenir.

Car le gouvernement souhaite donner encore plus de place à l’Agence Nationale pour la Recherche dans la politique de la recherche française. Cette agence, qui sert à distribuer des financements selon des appels à projets, verrait son budget augmenter de 150 millions d’euros par an dès l’année prochaine. L’Agence va pouvoir enfin afficher des taux de succès à ses appels à projets un peu plus élevés que les 15% de 2018 et peut être rattraper les 30% de son homologue allemande.

Mais cela signifie aussi que plus de la totalité de l’augmentation du budget 2021 du ministère passerait dans les mains de l’ANR si ce projet de loi était voté 2correction faite suite à l’erreur sur l’augmentation totale du budget 2021. Pour que leurs recherches profitent de ces financements, les chercheur·euse·s devraient alors prendre du temps pour remplir des dossiers et croiser les doigts pour espérer faire parties des projets sélectionnés par l’Agence et ne pas compter sur un budget inscrit dans le temps long.

L’organisation d’un darwinisme social sans pitié

Mais c’est finalement de façon structurelle que le monde français de la recherche risque d’être le plus affecté par cette loi, contrairement à la déclaration de la ministre.

Comme annoncé ces derniers mois, la création de nouveaux types de contrats des tenure tracks à la française (rebaptisées Chaires de professeur junior) et des CDI-chantier (rebaptisés « CDI de mission scientifique ») est au programme.

Tenure tracks à la française

En parallèle des classiques postes de Maître·esse de conférence et de Chargé·e de recherche accessibles par concours, les tenure tracks à la française (rebaptisées Chaires de professeur junior) seraient des contrats à durée déterminée de 3 à 6 ans « en vue d’une titularisation dans un corps de directeurs de recherche [ou de professeurs] ».

Le projet de loi prévoit que la création de Chaires de professeur junior pourrait aller jusqu’à 25% des créations de postes de directeur·trice·s de recherche et de professeur·e·s.

CDI de mission scientifique

Le projet de LPPR prévoit de généraliser l’utilisation des CDI-chantiers (rebaptisés « CDI de mission scientifique ») dans le monde de la recherche publique. Les institutions de recherche pourraient proposer des contrats sans en préciser la durée. Ces contrats prendraient fin avec la réalisation du projet mais pourraient être rompus si l’employeur considère que le projet n’est plus réalisable. Depuis février, certains établissements de recherche peuvent déjà utiliser ce genre de contrat.

Un contrat doctoral dans le privé

Alors que la plupart des changements engendrés par la LPPR avait été annoncée, l’article 4, qui crée un nouveau contrat doctoral à durée déterminée de droit privé, est une surprise. L’employeur devra confier des activités de recherche au salarié et participer à la formation à la recherche de son employé. Le projet de loi prévoit que ce contrat ne puisse pas dépasser cinq années.

D’autres dispositions comme la participation des personnels de la recherche en qualité d’associé ou de dirigeant à une entreprise existante, des « mesures de simplifications » ou la création de « séjours de recherche » pour les chercheur·euse·s et doctorant·e·s étranger·ère·s sont prévu dans le projet de loi.

Des revalorisations essentiellement pour les chercheurs

Sur les rémunérations, il faut aller lire le rapport annexe qui devra être approuvé par l’article 1 du projet de loi pour comprendre quelle politique de revalorisation le ministère entend mener. Si le rapport indique que ces revalorisations toucheront tous les personnels, il précise que « le gain sera plus élevé pour les enseignants-chercheurs et les chercheurs dont le niveau de rémunération est aujourd’hui loin des standards internationaux que pour les personnels ingénieurs, techniciens administratifs et bibliothécaires, dont la situation actuelle est proportionnellement moins favorable ».

Ces différentes mesures de gestion des ressources humaines de la recherche publique française organisent encore un peu plus la compétition et la précarité des jeunes chercheur·euse·s qui devront attendre encore un peu plus longtemps pour avoir un poste stable.

Le président du CNRS Antoine Petit avait imploré le gouvernement en novembre dernier dans les Echos :

Cette loi doit être à la hauteur des enjeux pour notre pays. Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies.

Pour ce qui est de l’inégalitaire et du « darwinisme social » (ou plutôt spencerisme puisque c’est Herbert Spencer qui a porté l’hypothèse du « darwinisme social » évoqué par Antoine Petit), ce projet de loi devrait satisfaire le président du CNRS.

On peut avoir plus de doutes sur son côté vertueux et son ambition qui se reporte plus sur les gouvernements prochains que sur celui actuellement en place.

Enfin, pour ce qui est de la mobilisation des énergies des chercheur·euse·s, pour l’instant, le projet de loi a l’air de résigner les quelques jeunes chercheur·euse·s qui espéraient une stabilité économique et sociale tout en mobilisant majoritairement contre lui.

Sur Twitter, quelques jeunes chercheur·euse·s en postdoctocat expriment leur désarroi :

L’année dernière déjà, les Conseils scientifiques du CNRS s’opposaient au « Darwinisme social » prôné par leur PDG.

A rebours de la direction de ce projet de loi, des chercheurs et chercheuses comme la mathématicienne Claire Mathieu, médaille d’argent du CNRS 2019, partagent leurs préoccupations sur le manque de personnel et de crédits permanents de la recherche française :

Et la publication du projet de loi relance la mobilisation. Le collectif Université Ouverte, qui avait mis en place une première coordination nationale en début d’année, appelle à une nouvelle mobilisation en proposant des rassemblements partout en France les 12 et 17 juin.

References

References
1 Une erreur de calcul s’étant glissée, j’avais écrit 253 millions d’euros et deux fois moins que pour 2020
2 correction faite suite à l’erreur sur l’augmentation totale du budget 2021

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