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Les Conseils scientifiques du CNRS s’opposent au « Darwinisme social » prôné par leur PDG

Dans une lettre ouverte obtenue par Sylvestre Huet (lisible ci-dessous), la présidente du Conseil scientifique du CNRS et les Les présidentes et présidents des conseils scientifiques des instituts du Centre s’opposent à la volonté d’Antoine Petit, le PDG du CNRS, que la prochaine Loi Pluriannuelle pour la Recherche soit une « loi inégalitaire » et « darwinienne », termes employés par le PDG lui-même dans une tribune dans les Echos le 26 Novembre dernier.

L’usage du terme « darwinienne » a d’ailleurs fait tiquer bien des chercheur·euse·s (deux tribunes dans le Monde récemment y réagissent ici et ) et la mention (sic) dans la lettre ouverte reflète cet énervement.

Ce terme est un abus de langage du PDG du CNRS pour désigner la doctrine politique du « darwinisme social » ou plus exactement du spencérisme (d’Herbert Spencer) qui voudrait que les relations sociales humaines ne seraient gouvernées que par un esprit de compétition et de survie entre les individus, ne resteraient que les meilleur·e·s, les « stars » comme aime les appeler Antoine Petit. Le darwinisme n’a d’ailleurs pas grand chose à voir avec cela. Frédéric Restagno, Directeur de recherche en physique au CNRS, concluait sa tribune dans le Monde par ces mots :

Quant à ce cher Charles Darwin, peut-être faut-il le relire, lui qui écrivait : « Si une tribu renferme beaucoup de membres () qui sont toujours prêts () à s’entraider et à se sacrifier au bien commun, elle doit évidemment l’emporter sur la plupart des autres tribus ; or, c’est là ce qui constitue la sélection naturelle. » La communauté scientifique doit se mobiliser pour défendre une vision collective du travail scientifique, incompatible avec une conception violente des rapports sociaux dans la science.

Le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) avait déjà affiché son désaccord de fond avec la direction du CNRS sur la loi pluriannuelle. J’avais analysé les différences de points de vue dans ce billet.

La ministre de la recherche Frédérique Vidal et mon confrère Sylvestre Huet seront les invité·e·s de la très bonne émission de France Culture « La méthode scientifique » cet après-midi, à 16h, une occasion en or pour développer ce débat.

Voici le texte de la lettre :

 

Monsieur le Président – Directeur général,

Après avoir pris connaissance de votre tribune parue le 26 novembre dernier dans le quotidien Les Échos, nous — présidentes et présidents du Conseil scientifique du CNRS, des conseils scientifiques d’instituts et des sections et commissions interdisciplinaires du Comité national de la recherche scientifique — tenons à vous faire part de notre profonde désapprobation et de la vive inquiétude que ces propos suscitent au sein de la communauté scientifique.

Dans cette tribune, vous exposez en effet une vision de la recherche basée sur la compétition à tous les niveaux, comme en témoigne en particulier la citation suivante :

« Cette loi [de programmation pluriannuelle de la recherche] doit être à la hauteur des enjeux pour notre pays. Il faut une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale, une loi qui mobilise les énergies. »

Nous avons pour notre part la ferme conviction que le CNRS n’a pas besoin de davantage de compétition alors même que pour le recrutement de ses chercheurs et chercheuses par exemple, on compte près de 50 candidatures, le plus souvent de très haut niveau, pour un poste.

Ce dont le CNRS a cruellement besoin, en revanche, pour « mobiliser les énergies », c’est d’un soutien beaucoup plus fort aux collectifs de travail (équipes, laboratoires) et aux coopérations qui s’y déploient. Ce soutien doit notamment passer par l’augmentation des effectifs de personnels scientifiques pérennes — techniciennes et techniciens, ingénieures et ingénieurs, chercheuses et chercheurs — et l’attribution de moyens financiers décents pour leur permettre de travailler. Le respect par la France de son engagement à consacrer 3% du PIB à la recherche, encore évoqué par le Président de la République le 26 novembre dernier, permettrait de financer cette politique, au CNRS et dans l’ensemble de la recherche publique, à un niveau conforme aux ambitions que la Nation doit se redonner en matière de recherche scientifique.

Une « loi inégalitaire » ne pourrait que renforcer les fragilités actuelles de la recherche publique française.

C’est pourquoi, dans le cadre de la préparation de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche, nous nous attacherons avec tous les moyens dont nous disposons à promouvoir les propositions formulées par le Comité national lors de sa session extraordinaire du 4 juillet 2019, propositions qui recueillent l’assentiment d’une grande partie de la communauté scientifique et dont la mise en œuvre permettrait d’atteindre l’ambition proclamée de « réussir la reconquête scientifique de la France avec une recherche fondamentale d’excellence, mettre la recherche et l’innovation au cœur des nouveaux modèles sociétaux et positionner la France en acteur incontournable de la construction d’une Europe forte de la recherche et de l’innovation ». Le Comité national ne saurait s’associer à la mise en œuvre d’une politique « darwinienne » (sic) dans l’enseignement supérieur et la recherche en France.

La présidente du Conseil scientifique du CNRS

Les présidentes et présidents des conseils scientifiques des instituts du CNRS

Les présidentes et présidents des sections et commissions interdisciplinaires du Comité national de la recherche scientifique (sauf Laurence Pruvost, présidente de la section 4, qui n’a pu être jointe)

4 Commentaires

  1. Blanchon Blanchon 13 décembre 2019

    Tout à fait en accord avec les chercheurs-es. La compétition ne doit pas orchestrer la recherche. Elle nuirait psychologiquement et physiquement sur les chercheurs, techniciens et autres. Elle impacterait de ce fait des mauvais résultats du travail des personnels et de leur santé. Pas besoin de la compétition pour bien travailler.

  2. Pineda Evelyne Pineda Evelyne 13 décembre 2019

    Quand on prend en considération que c’est le président de la République qui nomme le « PDG » du CNRS (l’appellation PDG fait déjà frémir…) peut – on s’étonner que soit nommée une personne qui prône la concurrence à outrance ? L’idéologie élitiste la plus méprisable règne aujourd’hui en maître sur un gouvernement qui fait honte à la France. Les seuls objectifs de le rentabilité à tout prix sont indignes, il est impensable que la recherche soit aliénée à ce type d’impératifs alors que la liberté de l’innovation et l’autonomie des chercheurs sont à valoriser dans le respect de la solidarité et des échanges qui caractérisent leur travail. Au lieu de cela, en jouant sur la distribution des crédits allant vers tel ou tel secteur de recherche considéré comme plus rentable, c’est la concurrence qui est favorisée : l’esprit même de la recherche est mis en danger ! C’est pourquoi je salue avec enthousiasme la résistance des directeurs de recherche dont témoigne leur courrier. Cela montre que leur mission, qui est celle de la recherche de connaissances en vue de participer au progrès de l’humanité (et non au seul progrès du « Kapital ») reste leur objectif premier. J’ai honte que le gouvernement de mon pays méprise leur activité en favorisant une politique de la concurrence vouée à la seule rentabilité au détriment de la liberté et de la fraternité que le monde de la recherche revendique.

  3. Gueux Gueux 13 décembre 2019

    M. Petit est un pur produit du dilbertisme, comme malheureusement beaucoup de dirigeants. Le pire, c’est qu’il ne semble pas pouvoir s’en rendre compte.

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