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De l’art de bien cuisiner ses données

Mis à jour le 5 octobre 2013

La cuisine moléculaire et notre Hervé This national nous avaient déjà montré que l’on pouvait avoir une réflexion scientifique sur l’art de cuisiner. En décembre dernier, Yong-Yeol Ahn et ses collègues de l’Université de Boston se sont demandé s’il y avait une logique dans la combinaison d’aliments dans les recettes de cuisine et ont publié leurs travaux sur le site Scientific Reports (site « Open Access » de la revue Nature).

Hot Kitchen,Ngau Chi Wan Village, Kowloon, Hong Kong

Depuis quelques années, certains chefs et spécialistes de la gastronomie pensent que les ingrédients se marient mieux si ils ont des composés aromatiques en commun. Cette hypothèse du foodpairing est très discutée et Hervé This, lui-même la critiquait sur son blog, il y a tout juste un an :

Cette théorie n’est pas scientifique, ni juste, pour de nombreuses raisons.[…] Tout d’abord, elle est contredite par l’expérience : chaque fois que j’ai demandé à mon ami Pierre Gagnaire d’associer deux ingrédients, il a fait une œuvre superbe. […] Ensuite, cette théorie n’est pas scientifique, parce qu’elle n’est pas réfutable : on pourra (presque) toujours trouver des traces de composés présents dans deux ingrédients pris au hasard, tant les composés odorants sont nombreux, dans les aliments.

Certes, on peut élaborer une bonne recette qui contredit le foodpairing. Mais ça ne veut pas dire que la plupart des recettes qu’on connait ne répond pas à cette hypothèse. L’équipe de Boston a essayé de rendre réfutable l’hypothèse du foodpairing et de voir si elle se vérifie avec un grand nombre de recettes.

Dans un premier temps, ils ont créé une base de données liant 381 ingrédients aux 1,021 composés aromatiques qui les composent.

Ils ont ensuite regroupé dans une même base de données les recettes de deux sites américains (epicurious.com et allrecipes.com) et du koréen menupan.com. Le croisement de ces bases leur a permis d’élaborer le graphe ci-dessous . On peut voir, par exemple, que le soja et le beurre de cacahuètes partagent un nombre signifiant de composés aromatiques.

Chaque nœud représente un ingrédient, la couleur indique la catégorie d’aliment, la taille du nœud représente la prévalence de l’ingrédient dans les recettes. Deux ingrédients sont reliés quand il partage un nombre signifiant de composés aromatiques. Plus un lien est épais plus les ingrédients qu’il relie partagent d’ingrédients.

Pour mieux comprendre, zoomons sur deux recettes qui ont fait saliver les chercheurs du côté de Boston : une sorte de mouclade et la recette des langoustines aux tomates grillés. On voit, sur la figure B, que les ingrédients de ces deux recettes ont de nombreux composés aromatiques en commun. Notamment, la tomate en partage beaucoup avec le vin blanc, la mozzarella, le parmesan et les crevettes par exemple.

 

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Une fois ce réseau réalisé et en analysant les bases de données de recettes par zones géographiques, les chercheurs ont pu s’apercevoir que les cuisines nord-américaines et d’Europe de l’ouest marient effectivement, la plupart du temps et de façon statistiquement significative, des ingrédients qui partagent de nombreux composés chimiques. Mais les plats de traditions sud européenne et d’Asie du Sud-Est, par contre, ne vérifient pas cette hypothèse. Au contraire, même, les recettes de ces pays ont tendance à marier des ingrédients qui n’ont que peu de composés aromatiques en commun.

Hourra ? Victoire ? Aurait-on une loi d’appariement des ingrédients suivant le lieu d’origine de la recette ? Pas si vite ! Nos chercheurs ont un peu plus creusé leurs données et se sont rendu compte d’un biais :

Les recettes d’Amérique du nord comportent essentiellement du lait, du beurre, du cacao de la vanille, de la crème et des œufs alors que celles d’Asie du Sud-Est sont principalement composées de bœuf, gingembre, porc, poulet, poivre de cayenne et d’oignon. Et quand on enlève ces ingrédients de l’étude, l’hypothèse  du foodpairing (ou son inverse pour les recettes d’Asie du Sud-Est) est beaucoup moins marquée.

Cette observation nuance très fortement les résultats obtenus sur le foodpairing mais l’étude montre que cette hypothèse n’est pas si farfelue que le disait Hervé This. Maintenant, allons chercher d’autres bases de recettes à travers le monde pour faire une bonne tambouille de données et peut être faire d’autres observations étonnantes sur nos façons de cuisiner !


Photo FlickR en Creative commons AttributionNoncommercialShare Alike par ROSS HONG KONG

Figures en Creative Commons AttributionNoncommercialShare Alike Yong-Yeol Ahn, Sebastian E. Ahnert, James P. Bagrow & Albert-László Barabási pour l’article Flavor network and the principles of food pairing

Un commentaire

  1. carpeaux carpeaux 23 mars 2012

    Quand je lis soja et beurre de cacahuètes pour moi on ne parle plus de cuisine!
    Très bel article cependant mais décevant dans ses conclusions. L’outil par contre est intéressant.

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